Mais je lui sers quoi?

2h30. Pleine lune. Rythme cardiaque qui bâillonne tout appel du repos.

–         C’est demain soir?

Ouep.

–         T’es nerveuse.

Hmm nwoon.

–         Mais oui tu palpites et tu cogites comme une ex-détenue en entrevue.

 Je sais, il faut que je dorme. Il FAUT que je dorme, allez go!

–         Tu penses à ta toilette pour la soirée?

 Pas du tout.

–         Ta coiffure alors. Chignon? Pour lui laisser le plaisir de le dénouer le moment venu…

Arrête.

–         Cheveux au vent, pour le délice de ses doigts dans ta crinière.

J’ai dit arrête.

–         Ou la tresse. Toujours romantique la tresse, quoiqu’un peu médiévale comme allure…on cherche la harpe.

Tu la boucles p’tit rat, tu vois bien que j’ai besoin de dormir.

–         Tu gigotes comme un achigan harponné, tu vois bien que tu ne dormiras pas. J’te connais biquette. Ça te démange partout l’idée d’enfin recevoir ton Bertrand, c’est ça?

Mwouin.

–         T’as peur?

Pas peur…mais…

–         Mais?

Mais je lui sers quoi?

–         Hein?

Qu’est-ce que ça bouffe un Bertrand?

–         C’est pas vrai… elle rumine le menu depuis des heures.

C’est crucial le menu.

–         Oh poulette, on parle d’un garçon ici. D’un mâle binaire. Tu mets un morceau de viande quelconque dans l’assiette, même trop cuit et il est heureux.

Très réducteurs tes propos, suis pas d’accord.

–         Eh misère d’enfant compliquée! Ce type vient te voir dans le but unique de tester ta luette. Tu penses qu’il va chipoter sur le choix des légumes?

Trop prévisible la viande. Trop facile. Un menu c’est un peu comme un poème, ça raconte quelque chose à travers des images.

–         Bien sûr, la Fable de l’agneau en croûte.

Un poisson grillé déjà, c’est plus exotique. Ça suggère les îles grecques, la méditerranée…

–         Et ça laisse une odeur dans la maison qui rappelle les Bayous en pleine canicule.

Un tian aux légumes et on se met à parler avec l’accent Provençal.

–         Tu vas servir un plat de légumes empilés à un homme?

Des pâtes alors? C’est chaleureux, réconfortant, simple et raffiné en même temps. Ça dit « je suis capable de faire de grandes choses mais je choisis de faire simple pour mieux profiter du moment avec vous… »

–         Ça dit plutôt « j’ai dormi toute la journée… pas eu le temps de préparer le souper…allez hop! des pâtes… »

Une fondue? Le jeu des fourchettes qui s’accostent dans le caquelon…agréable…sensuel…

–         Les hommes suent toujours au-dessus d’une fondue. T’auras pas envie de l’embrasser.

Une grosse salade de légumes grillées, herbes fraîches et noisettes. Frais, nourrissant, parfumé.

–         Il va engloutir ce gazon en trois bouchées puis il va attendre le vrai repas.

Des tapas! Tu sais, la formule on-bouffe-des-petits-trucs-mignons-toute-la-soirée.

–         Les hommes n’arrivent pas à manger des petits trucs avec des cure-dents.

Alors des pétoncles, oui des pétoncles au Pernod tiens. Ça fait brasserie. Donc ça fait hommes.

–         Mais dans quel monde vis-tu princesse? Tu sers des pétoncles à l’étalon et je te garantis qu’à 22h il décampe pour aller bouffer un hamburger ou un souvlaki. L’appel de la viande est plus fort que tout dans le ventre d’un homme, crois-moi. T’as aucune chance contre un souvlaki.

Meeerde, je ne sais vraiment pas quoi lui servir.

–         Un jambon bien dodu, la fesse de préférence…une purée de pommes de terre avec grumeaux et lardons et une bière pour dessert. Avec ce menu, c’est dans la poche ma poule. In ze pokette.

J’annule tout.

–         Quoi?

J’annule! Le souper, Bertrand, le jambon, la poche et la bière.

–         Mais…

Il ne mange que de la viande, n’aime pas mon tian aux légumes, sue comme une aubergine dégorgée et rouspète contre ma salade. Et il boit de la bière au dessert. En plus il m’empêche de dormir.

–        Tu…

Nom d’un tian que c’est compliqué un homme!

–          …

***

« Trouvez moi un homme qui vit seul et dont la cuisine est propre en permanence, et neuf fois sur dix je vous montrerai un homme tout à fait détestable.
 
Trouvez-moi un homme qui vit seul et dont la cuisine est sale en permanence, et six fois sur dix je vous montrerai un homme exceptionnel. »
Charles Bukowski (Nouveaux contes de la folie ordinaire).

17 réflexions sur “Mais je lui sers quoi?

  1. Du saumon, évidemment. Dieu a mis le saumon sur Terre pour se faire pardonner d’avance la mode des hamburgers commerciaux. D’ailleurs, souvenez-vous, la Bible, psaume 33, verset 11:  » En vérité en vérité je vous le dis, il glissera ensuite un peu sur sa chaise, retiendra un petit rot, vous regardera amoureusement et s’exclamera: « Diantre, que c’était bon tous ces Oméga 3 « ! « 

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  2. ½ tase de fromage à la crème, ½ tasse de beurre salé, une boite d’escargots égoutés. Mettre le tout dans le robot et battre à mort,. Assaisonner au goût et napper de ciboulette fraîhement hachée.
    Déposer une cuillère à soupe de ce beurre enrichi sur ton saumon (1)tout chaud, et m’en reparler si tu veux bien!

    (1) Ou sur une pièce de boeuf, ou sur un croûton, ou sur ton doigt…

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  3. Bon matin belle insomniaque, bien dormi?

    Tu veux faire plaisir a une « date » plutot male…

    Un entre d’escargot saute dans du porto du bleu et de la creme fraiche. (ne lui dit pas a propos du bleu ca ecoeure des gars ca)

    un filet mignon saignant (tres saignant si c’est moi que tu me recois) le tout bien arrose d’une bouteille de bourgogne ou meme deux !

    et toi pour dessert, il devrait en redemander. On dort toujours mieux apres… Bon dodo

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