A propos de Guy

Il s’appelle Guy.

Il me tient éveillée presque toutes les nuits. Il m’exaspère.

Et ça dure depuis des années.

A cause de lui je suis cernée, fatiguée, impatiente et irritable. C’est un boulimique, vous comprenez.

Irrassasiable et inapaisable.

Dès que je lui accorde une minute, il m’accapare sans réserve et sans partage. Sans aucune considération pour ma disposition du moment et encore moins pour mon besoin de sommeil.

Dormir.

Pour une insomniaque, ce mot porte en lui bien des espoirs mais davantage de frustrations. Surtout depuis l’arrivée de Guy. Ou plutôt depuis que je n’arrive plus à l’ignorer.

Alors lui, saoul de toute cette attention que je lui accorde, il se fait une petite fête dans ma tête toutes les nuits. Oui, dans ma tête. Il y loge en résidence permanente depuis quelques années et semble s’y plaire puisqu’il ne décolle pas.

Au début il était plutôt tranquille, modéré voire inoffensif, il attendait d’être interpellé avant de prendre le crachoir.

Puis, en tapinois il a accaparé les lieux, les circonvolutions de son nouvel asile et aujourd’hui l’impudent fripon trône en maître du logis et prend l’affiche tous les soirs à guichets fermés. J’ai pourtant tenté à maintes reprises d’y faire entrer Le Calme, La Tranquillité, même Le Vide mais toujours en vain. Guy occupe tout le maquis et ne cède aucune part du marché fort lucratif de l’insomnie.

D’où mon irritation. Et mes cernes. 

La plupart du temps, il me sert ses classiques :

–          Qu’est-ce qu’on bouffe demain? Faudrait pas oublier de décongeler la viande avant de partir. La famille débarque samedi, faudrait  repasser la nappe.

Ce hamster va me rendre folle.

Tiens, l’autre nuit il a réussi à me faire réciter une fable de La Fontaine apprise en sixième année du primaire. Comme ça, pour rien. Des heures, ça m’a pris des heures à faire émerger tous les vers des tréfonds de ma mémoire.

« La Besace.  Jupiter dit un jour : que tout ce qui respire s’en vienne comparaître au pied de ma grandeur…. »

–  Et Le Cid de Corneille? Tu t’en souviens? C’était en secondaire II.

Euh…Rodrigue, as-tu l’heure? Non, as-tu du beurre? Du cœur! C’est ça, Rodrigue, as-tu du cœur? 

Encore une nuit sans sommeil et un lever du jour avec un visage tuméfié de nouveau-né.

C’est d’une tristesse.

Je partage mes éveils nocturnes avec un compagnon qui m’épuise et dont la longue queue ne m’apporte rien de bon.360695_hamster(1)