Comme une bulle de champagne

3 h 50. Fenêtre entr’ouverte d’où se libère un vent de changement de saison. Croisée 1

  • Pauvre poulette.

Tout va bien Guy, tout va bien…

  • Tu as peur.

Peur? Que nenni mon raton.

  • Toutes ces décisions à prendre, ces questions qui s’empilent.

La vie est une enfilade de choix qui en provoquent d’autres. Je choisis donc je suis.

  • Je doute donc je ne dors pas.

Tutto bene, j’te dis. Faut pas craindre les croisées de chemin. Faut prendre son temps et faire confiance à la bulle.

  • Celle dans laquelle tu vis, p’tite folle-qui-ne-parle-pas-vraiment-italien?

La bulle de champagne.

  • Cosa la bulle?

Elle remonte toujours à la surface. Comme la vérité.

  • Non mais ça ne va vraiment pas mieux, biquette. Tu vieillis…t’as chaud là?

Alors les questions, les décisions, les enjeux… tout ça…

  • Tout ce gros tas de ça…

Cogiter, ruminer, s’inquiéter…

  • Insomnier.

Ne sert. À rien.

  • Dit-elle en caquetant la nuit.

Quand tu choisis de vivre selon le principe de la Vérité, tu ne crains aucune décision, Guy. Crois-moi. La vérité libère, quelle qu’elle soit. Et le temps la révèle infailliblement en la faisant remonter à notre conscience.

  • Un reflux véridique.

C’est le corps qui l’accueille en premier. Lui, il sait. Avant tout le monde. C’est le siège de notre vérité. Il l’annonce, d’abord discrètement au creux du ventre. On la sent mais sans trop savoir de quoi il s’agit.

  • Un vérigaz ?

Puis tout naturellement elle fait son chemin… un matin on la perçoit au fond de la gorge. On la goûte presque. La voix se noue, souvent.

  • Ça goûte quoi?

Différent des autres matins. Ça goûte vrai, mais tout dépend de ta disposition à l’héberger, la reconnaître. Elle peut rester là longtemps.

  • Tu choisis de rester avec une grosse boule au-travers de la gorge?

Oui. Et tes paroles s’en trouvent faussées, déformées. Tu parles avec ta tête mais ton corps ne te croit pas, ne suit pas. Alors ça grince de partout. T’es jamais confortable. Et ton pauvre cœur essaie de trouver son chemin dans cette cacophonie de vie.

  • Dissonance symphonique pour brebis égarées.

Mais c’est lui, le cœur qui va assouplir les dispositifs de la raison. Il va suivre le corps, son fidèle allié. Du coup, la tête ne peut plus dominer et la boule éclate.

  • Pop!

Comme une digue qui cède, la logique ne peut rien contre une vérité qui jaillit. Comme un torrent. Alors on ferme les yeux et on se laisse dériver, soumis à plus fort que soi. Pour échouer sur un nouveau rivage…

  • Trempé.

Soulagé.

  • Dis-donc, c’est souffrant tout ce cancan .

C’est pas la vérité qui fait mal. C’est la résistance. Les mécanismes qu’on installe et entretient pour empêcher la bulle de monter.

  • Oh la complexité inutile de la race humaine…

T’as pas tort le mulot. On n’a encore jamais vu un arbre s’accrocher à ses feuilles à l’automne. Il ne résiste pas aux cycles changeants, il s’adapte au vent, patient, confiant que de sa sève, de nouveaux fruits écloront le moment venu. L’Homme est un élément de cette nature, Guy. Pourtant, il voudrait commander les saisons et dompter le vent.

  • Alors fais comme l’arbre, p’tite branche!

Comme la vigne, plutôt.

  • Celle qui donne le champagne ?

Le bonheur est dans la bulle.

***

« La vérité guérit le mal qu’elle a pu causer »~ Goethearbre

 

 

 

 

 

Photo : Chloé de Perry-Sibailly

2 réflexions sur “Comme une bulle de champagne

  1. Toujours si pertinent, sensible… j’adore et je partage! Catherine, tu as un talent incroyable de traduire les sentiments en mot… Je me sens privilégiée de pouvoir te lire! xxx

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