La corrida

2 heures 40. Nuit de crêpe. Tourne, retourne, tourne…taureau4

–         Ça va le judo?

Laisse moi.

–         On dirait que tu es au combat, girouette.

Le combat est de tous les instants, Guy.

–         Contre qui cette fois?

Personne.

–         Je te connais chevrette, quand tu gigotes comme ça, t’es en maniement d’armes… quelqu’un va être envoyé au bûcher au lever du jour.

C’est l’état d’éveil conscient. Mêlé à des vestiges guerriers.

–         Misère, qu’est-ce que t’as encore lu?

Maintenant que l’homme n’a plus à se battre pour assurer sa survie, il doit assurer son bonheur. Alors il cherche bataille à tout ce qui brime sa jouissance. Et tant pis pour le reste.

–         Barati-baratin.

C’est la cohabitation difficile entre notre instinct animal et notre conscience de mortels.

–         Et ça radote encore… et ça croit qu’on l’écoute…

Depuis que l’homme est conscient de sa mortalité, il angoisse en pensant à demain. T’as déjà vu un animal angoisser le ventre plein? L’homme a beau être vêtu, logé, nourri, aimé, il va angoisser quand même alors qu’aucun danger réel ne le guette. Du coup, le combat avec l’autre, les conflits…ça lui donne l’illusion de se battre pour sa vie. D’être fort. Alors il cherche l’affrontement, même si l’adversaire n’est pas devant.

–         Une corrida sans taureau.

Avec tout le spectacle que ça implique… histoire d’en mettre plein la vue. Alors que l’ennemi, c’est soi. Pas l’autre. Le plus tôt tu comprends ça, le mieux tu dors, disons.

–         Alors y’a jamais de gagnant?

Bien sûr qu’il y a un gagnant. Le petit toréador interne qu’on nourrit.

–         Au vin rouge et aux crèmes anti-rides?

À chacun son menu. De la vitamine pour toréadors hyperactifs, il y en a pour toutes les bourses. Peur de déplaire, peur de l’échec, de la solitude, de vieillir, de l’engagement, du jugement, de faire différent, peur des autres, de la vérité, du changement, narcissisme, dépendances… c’est un buffet à volonté, crois-moi. L’humain excelle dans l’art de combler ses failles avec celles des autres.

–         Comme faire un trou dans l’asphalte pour en réparer un autre.

Exact le raton. La réparation n’est qu’illusion. Au final, les crevasses s’intensifient.

–        C’est pour ça que vos routes sont si croches.

C’est jamais droit une route, et c’est tant mieux. C’est nous qui devons l’être, pas le chemin.

–         Lourd lourd cette corrida. On choisit tes vêtements pour demain?

Nan…j’ai un combat à terminer. Besoin de toute ma réflexion pour l’affamer une fois pour toute celui-là.

–         Tu…tu parles de…

Mon matador en chef. C’est l’heure de lui montrer mes cornes avant qu’il ne foute encore plus le bordel.

–         Ah ouais… señor Ego.

Ouais.

–         Bonne chance, il est bien nourri le pantin. Pas sur que l’avenir te donnera raison, cornette.

Ben voilà. À mon âge le temps est venu de comprendre qu’il est plus important d’être heureux que d’avoir raison.

–         T’as raison.

Je sais. J’suis vraiment trop forte pour ce combat. 

–         …

***

«Le véritable courage est le produit de la tendresse. Il survient lorsque nous laissons le monde effleurer notre coeur, notre coeur si beau et si nu. » ( Shambhala : La voie sacrée du guerrier ~ Chögyam Trungpa).corrida finPsychée ranimée par le baiser de l’Amour. Antonio Canova. Marbre, 1793.
 
Photo: ToreroImages.

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