Comme sur le pont des Arts

–         Tu y arriveras.

Pas sure.

–         Mais oui poulette, tant qu’on est vivant tout est encore possible.

Oui mais une promesse pour la vie, Guy… c’est long.

–         Bah, à ton âge… la vie y’en a plus derrière que devant…

Et puis ça donne quoi au juste de promettre une chose sur laquelle nous n’avons aucun contrôle ?

–         Ça donne des statistiques, ça crée de l’emploi.

L’amour c’est fragile, énorme mais inquantifiable. Et surtout, hors de notre entendement.

–         Alors ?

Alors comment promettre de faire durer quelque chose qu’on ne comprend pas sinon qu’en pensée magique ?

–         Lourd

Et puis y’a l’expérience aussi…cette petite voix rauque qui chuchote prudence dès que les rayons du soleil réchauffent la peau.

–         …re-lou… pas moyen de garder ça simple avec ta vieille tête de cloche qui résonne faux.

C’est comme sur le pont des Arts. Tu connais ?

–         Évidemment que je connais… c’est quoi ?

C’est un pont qui traverse la Seine au centre de Paris.

–         Je savais.

Les parapets sont grillagés. Et la tradition veut que les amoureux qui passent y accrochent un cadenas avec leurs noms et la date. Ce sont les cadenas d’amour, le pont en est rempli.

–         C’est joli comme image.

Ben moi j’ai pas voulu.

–         Ah mais qu’est-ce que tu peux être rasante des fois ! C’est juste une tradition, ma p’tite dame aux camélias… y’a pas lieu d’en faire une théorie !

J’aime pas le symbole du cadenas. Surtout pas en amour. J’comprends pas cette tradition.

–         C’est juste pour l’esprit romantique du moment. Personne ne te demande d’y laisser un rein. Un peu de légèreté, nom d’un pont !

Ben voilà, c’est pas léger la promesse d’aimer toujours. Et encore moins de cadenasser son amour. C’est funeste comme image si tu veux mon avis.

–         J’ai rien demandé moi.

L’amour, j’y comprends pas grand chose mais je sais que c’est vivant. Ça doit respirer, avancer, ça grandit, s’adapte ou périt. Et comme toute chose vivante, ça évolue bien mal lorsque sous verrou.

–         C’est un SYM-BO-LE!

Mauvais choix de symbole. Ils ne peuvent quand même pas avoir tout bon ces Français. Ce coup-ci, je ne les suis pas.

–         Et si c’était pas l’amour que tu mettais sous cadenas mais ta promesse ?

La seule façon de faire une vraie promesse, c’est dans un état de pleine liberté.

–         À cadenas ouvert ?

Pas de cadenas. Tenir une promesse est un choix libre, pas une conséquence. Encore moins une obligation.

–         T’as vraiment des amis, toi? Des gens qui aiment passer du temps avec toi ? Les pauvres…

Je ne peux pas promettre d’aimer toujours, Guy.

–         Tant mieux pour les autres.

Mais je peux promettre d’agir. Ça je peux, ça je contrôle. Agir pour nourrir l’amour. Lui donner l’air dont il a besoin, les ailes, la chaleur, les regards qui l’abreuvent, passer du temps à désherber son sol, me gaver de ses fruits et en redemander, croiser les doigts en cachette pour que ça dure, le remercier tous les matins pour les boules de lumières qu’il fabrique. Ça je peux. Pour le reste… c’est seulement si la porte est grande ouverte que je saurai où il veut aller cet amour…

 –         Retourner à Paris ?

 Là je t’écoute mon raton !

 ***

Le premier rendez-vous
À l’île Saint-Louis
C’est Paris qui commence
Et le premier baiser
Volé aux Tuileries
Et c’est Paris la chance
Et le premier baiser
Reçu sous un portail
Et c’est Paris romance
Et deux têtes qui se tournent
En regardant Versailles
Et c’est Paris la France
(Jacques Brel – Les prénoms de Paris)

13 réflexions sur “Comme sur le pont des Arts

  1. Comme un syndrome, comme une page blanche,
    Comme une bételgeuse de chansons procastinées.
    Dévoiler ce grand amour pour Mélodie,
    De trois cadenas de ré, de fa, de sol.

    Ouille ! Ssstradinaire !

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  2. « Manuel du pouvoir-aimer » (comme ceux de savoir-vivre), page une. C’est exactement excellent! Alors, s’il n’était que ce billet, humble, nous plussoyons.

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