La théorie du pommier

2h12. Vent nocturne qui annonce l’arrivée de l’automne. Comme chargé d’une odeur de feuilles sèches.

–         Trop tard.

Mais non, il me reste presque 4 heures avant la sonnerie du réveil.

–         Pour ton Bertrand. La fenêtre s’est refermée, il est trop tard.

Qu’est-ce que tu racontes? Il n’est jamais trop tard.

–         Bien sûr que oui.

Que non. Le temps n’a pas d’importance quand deux âmes se touchent.

–         Pauvre de pauvre petite bécasse romantique. Sotte, inexpérimentée, naïve, têtue et malhabile.

C’est bon, gardes-en pour demain.

–         T’as aucune idée.

Mais de quoi tu couines le raton?

–         À quel point c’est difficile pour un homme de savoir précisément le bon moment. Ce court instant où il peut, où il doit foncer.

Qu’est-ce que tu connais là-dedans, toi?

–         Je connais la théorie du pommier, ma poule. Écoute pour une fois.

Nan. Veux dormir.

–         L’homme, ce chasseur…

Wow ça commence bien, un stéréotype en partant.

–         Écoute la vieille! T’as tout à apprendre. Alors. L’homme avance dans sa vie comme dans un verger. Il déambule entre les pommiers et y examine toutes les pommes. Toutes. Celle-ci, celle-là, trop jaune, trop petite, pas assez luisante, un peu trop ronde…

Ça va, je comprends l’image… on poursuit.

–         Jusqu’au jour où il trouve LA pomme. Celle qu’il veut.

Mais elle est empoisonnée et il devra vivre avec des nains dans la forêt pour le reste de sa vie.

–         L’humour comme mécanisme de défense, un classique pour les faibles.

M’éneeerves.

–         Mais cette pomme, eh bien, il ne peut la cueillir tant qu’elle est dans l’arbre.

Pourquoi?

–         Pas le temps, pas prête, elle appartient encore au pommier, elle n’est pas disponible, tout ça.

Alors?

–         Alors il la guette. L’étudie, la regarde de loin, s’approche parfois et doit essayer de figurer quand elle s’apprêtera à tomber. Parce qu’il sait très bien que le moment arrivera. Il sait que la pomme finit toujours pas tomber de l’arbre.

Et là?

–         Et là, il aura devant lui l’espace de quelques secondes pour la saisir au vol.

Pourquoi en pleine chute?

–         Parce que c’est le bon moment, la fenêtre qui s’ouvre, le bref instant où tout est possible. Où la pomme peut être happée, détournée.

Mais si elle tombe, il peut toujours la ramasser au sol, non?

–         Non. L’intérêt n’y est plus. Une pomme au sol est un fruit qui roule vers un autre destin. Il est trop tard, il a raté son coup. Il regardera, navré, les chevreuils bouffer son fruit désiré.

Dis donc, c’est… c’est… compliqué attraper une pomme au vol.

–         T’as pas idée comme les hommes peuvent se farcir l’esprit à se demander nerveusement s’ils réussiront à bondir le temps venu. Et surtout, s’ils sauront reconnaître les signes de chute.

Pas facile la vie de garçon.

–         Enfin un peu d’empathie.

Non mais… attends… ça ne tient pas cette théorie.

–         Béton.

Et pourquoi donc le type devrait traquer la chute et happer la belle à la volée? Pourquoi ne peut-il pas simplement ramasser une pomme qui attend toute mignonne à terre?

–         C’est comme ça.

Pas d’accord.

–         On ne t’a pas demandé ton avis, la croustade.

Vraiment, qu’est-ce qui cloche avec la pomme qui attend?

–         Qu’elle attende, justement.

Quoi?

–         Personne ne veut d’une pomme en attente.

Ah je vois… Le problème n’est pas la pomme mais le chasseur.

–         Bon, la théorie n’est pas tout à fait au point, on me l’a racontée…

Bien sûr,  une théorie d’homme. Il dépiste la pomme fraîche, convoitée… pas celle qui devient tranquillement d’la compote, même si elle est plus sucrée.

–         Celle par terre a davantage de chances d’avoir des vers, en plus. Beurk.

Je rejette ta théorie. Suis certaine qu’il existe plein d’hommes qui apprécient la compote.

 –         Tout plein.

Bon.

–         Ceux qui n’ont plus de dents…

M’éneerves!

***
« La chasse aux femmes est un sport passionnant. Les ennuis commencent dès qu’on en a attrapé une. » Gabriel Timmory

26 réflexions sur “La théorie du pommier

  1. Drôle d’univers. Toutes ces pommes qui s’inquiètent de mal tomber. Et les autres, avec leur gant de baseball, qui marchent sous les pommiers et n’attrapent que des feuilles. Si Dieu avait voulu aider l’homme-cueilleur, Elle aurait fait pousser les pommiers sur la Lune. La chute des corps/pommes est bien trop rapide ici-bas.

    J’aime

  2. Moi, j’aime bien la version iranienne de cette théorie.
    Un verger de pommes grenades.
    Les meilleures détiennent toutes la particularité d’avoir trop mûri.
    Flancs creux et chair jaunie, rien ne leur laisserait transparaître si meilleure encre.
    Le Rouge du Grand Amour et le savoir d’un tendre érotique déploiement moléculaire.

    Un chasseur-cueilleur-épépineur.

    J’aime

  3. Que dire…..suis-je déjà tombée, ai-je déjà passé le moment de la compote…ou peut-être changeons nous de rôle lors d’une séparation?
    En devenant compote j’ai déjà donnée naissance à trois pommettes…puis-je remonter dans le pommier encore une fois?

    J’aime

  4. Et la pomme?
    Elle ne décide rien?
    Moi je pense que c’est a elle de choisir le bon moment pour tomber, quand l’homme qu’elle désire passe juste a ses côtés…..
    Allez, tombez…..

    J’aime

  5. Autopommotion régionale.

    Les pommes de la région d’Oka sont tellement bonnes que les pomiculteurs de la rive sud viennent
    ici en cachette pour faire leurs provisions personnelles… ah oui,,,,ah oui,,,ah oui…

    Personne n’a parlé des chaussons aux pommes dans lesquels on place un bon bouchon de beurre avant de remplir le coeur de sirop d’érable et de cannelle, une fois que la pomme pelée a été enrobée de ta recette de pâte préférée…

    Tourlou, belle fille, bonne semaine.

    J’aime

Répondre à journal d'une insomniaque Annuler la réponse.