Le syndrome de Hamlet

1h40. Nuit de pluie qui martèle son chant sur le toit de mon insomnie, qui bat la contraction des spasmes d’une âme en éveil constant.

–         Oh y’en a marre de toute cette flotte, on ne s’entend plus angoisser.

Tais-toi Guy, laisse-moi écouter. C’est si beau.

–         C’est à rendre fou, oui. Ferme la fenêtre.

Non, la pluie purifie les maux universels.

–         Et crée des maux de tête.

Elle fait joliment onduler nos pensées.

–         Et friser les cheveux. Ferme et retourne sous la couette, tête de buisson.

Besoin de respirer cet air lourd et mouillé.

–         Besoin de lessiver une tare, petite pécheresse?

De faire fondre les masques.

–         Bon, c’est l’heure du théâtre.

Me sens parfois entourée de masques, Guy. C’est épuisant de chercher qui se trouve derrière.

–         En commençant par le tien, bien sûr.

 C’est le syndrome de Hamlet.

–         T’as vu un spectre?

Nan. On prétend tous être quelqu’un d’autre pour apaiser une faim. Pour avancer, arriver, briller, être aimé…

–         Écrire…

Aussi. On se croit suffisamment fort pour maîtriser notre personnage mais avec le temps…

–         Tout va tout s’en va?

Nan. Avec le temps on oublie ce que l’on veut. Et on devient ce que l’on fait.

–         Et vive la vie et vive le vent et vive le printemps?

Arrête, je suis sérieuse.

–         Tu parles avec ton masque de fille sérieuse.

Mais le masque croit toujours bien faire, tu sais. Comme Hamlet. Investi d’un désir profond de combattre l’injustice, de dénoncer une existence dénuée de sens,  en quête continue de sa Vérité il demeure malgré tout écartelé entre l’action et la réflexion, le vice et la vertu.

–         Entre les remords et les regrets.

C’est ça. Le chemin vers notre Vérité est serpentant. On emprunte parfois des voies contestées pour y arriver. Alors le masque devient pratique.

–         Puis confortable.

Oh Guy mais tu comprends vraiment tout ce soir. Et quand le masque devient confortable, on n’ose plus s’en défaire. 

–         Il nous définit.

Exactement!

–         Tu as tellement raison ma biche.

Comme tu me fais plaisir, Guy.

–         C’est ça, maintenant donne-moi mes croquettes. Miaou!

Pardon?

–         Je veux mes croquettes. J’avais mis mon masque de chat flagorneur qui a faim.

Vermine!

–         Wouah je t’ai bien eu pauvre dramaturge de carnaval. Comment oses-tu penser que tes babillages sont crédibles ? Enlève ton masque d’écrivaillone et on verra bien de quoi tu sais causer.

Cochonnerie de rongeur bouffeur d’encéphale.

–         C’est ça. Maintenant ferme la fenêtre, apprends ton texte et va te coucher Sarah Bernhardt. Grosse représentation demain…

…à guichets fermés au théâtre de nos vies.

–         A vos masques, prêts… vivez!

***

« Nous savons ce que nous sommes, mais nous ne savons pas ce que nous pouvons être. » William Shakespeare (extrait de Hamlet).


13 réflexions sur “Le syndrome de Hamlet

  1. Chère douceur,

    Jusqu’au jour où les humains seront tous parfaitement télépathes, les masques seront inévitables. Et pourquoi pas un quotidien où tout est théâtre ? Au bout du compte, tous les états d’âmes ne dépendent que du point de perception d’où on regarde la vie. Et le jour où nous serons tous télépathes j’espère que notre talent inclura la capacité de décrypter l’esprit des animaux. J’ai deux ou trois doutes à propos de l’honnêteté intellectuelle de Guy que j’aimerais nettoyer…

    « J’ai reçu la facture de mon opération. Maintenant je sais pourquoi le chirurgien avait mis un masque ».
    – James Boren

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    1. Mon cher Zoukplouf,
      si nous étions tous télépathes, nous serions privés de ce beau défi qu’est la découverte de l’autre.
      La présence de masques autour de soi est certes épuisante par moments, mais sans ces masques, nous ne serions probablement plus en quête de la Vérité.
      Et il paraît que le bonheur est dans la quête…

      Ceci dit, se faire appeler « douceur » est également un petit bonheur non négligeable en ce petit matin de petits yeux fatigués de grosse insomnie.
      Merci merci merci.

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      1. La télépathie aurait ses avantages. Fin de la tricherie, de l’hypocrisie, du mensonge. Et puis, plus besoin de concepts littéraires pour essayer de définir ce qu’on est, ressent, forcément de manière plus floue que si on permettait à l’autre d’expérimenter directement nos états d’âmes. Mais aussi, fin de l’inconnu, donc du mystère qui rend les apprentissages, la conquête par exemple, si intéressants. Je vous accorde toutefois que nous ne sommes pas prêts pour la télépathie. Nous avons tous trop de choses à cacher. Et nous y perdrions un lingot d’or; les joies du fantasme. J’y tiens moi, au droit au fantasme. N’empêche… Jeune Zoukplouf tire sur ma manche et insiste pour que je vous dise qu’il aurait apprécié vivre moins de rejets en sachant d’avance ce que Jeunes Femmes voulaient ou pas. Faut le comprendre, Douce; Prime jeunesse ne comprend pas encore la valeur du plaisir dans le risque (ou les risques du plaisir ?).

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  2. Savoir jeter derrière soi le poids de ses préjugés, c’est laisser la pluie délaver son propre masque.
    Affectueusement,
    Freebird Bozappa.

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  3. Bonjour poete de mon coeur,

    Quoi de mieux qu’etre etendu dans un sleeping bag double avec l’elue de notre coeur par une fraiche journee pluvieuse de juillet et ecouter les grosses gouttes de pluie relachees par les feuilles des arbres venir s’ecraser paresseusement sur la paroi de la tente sur un rythme que seule mere nature peut controler.

    mis a part cette situation la pluie c’est chiant, ca mouille, c’est froid et ca s’infiltre partout.

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  4. Saint Ici, comté d’Ailleurs, 25 03 11
    Chère Madame Bien,
    Si la Bonté écrivait, elle le ferait comme toi….
    Si la Bonté avait un visage, elle te ressemblerait…
    Et que dire de ta générosité…
    Foi de pépére.

    Et bonne journée!

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