« Vieille mule, frein doré »

23h57.

Guy, t’es là?

 –          Non, je suis sorti danser dans Casse-noisette! Évidemment que je suis là, p’tite tête. Où veux-tu que je sois?

 A quel âge devient-on vieux? 

 –          Ah non, tu ne vas pas encore prendre mon temps d’antenne avec ton « 40 is the new 30 »?

Ne trouves-tu pas que les femmes de 40 ans ont plus de visibilité qu’avant dans les médias ?

 –          Non.

 Qu’elles sont au sommet de leur beauté, de leur confiance?

 –          Non. Je pense simplement qu’elles ont besoin d’être rassurées quant à leur potentiel de séduction. Alors on leur dit ce qu’elles veulent entendre.

 Je ne sais pas pourquoi je te demande ton avis.

 –          Parce que personne d’autre n’a envie de t’écouter ressasser tes réflexions idiotes sur la beauté de la quarantaine.

 Tu sauras que je ne me suis…

 –          « …jamais sentie aussi bien ». Tu l’as dit cent fois. C’est d’un ennui.

 Il y a quelque chose qui se passe dans la société, Guy. Les visages ne sont plus les mêmes, l’écart entre les générations se fait de moins en moins  visible, tu ne trouves pas?

 –          Niet! Tout ce que tu vois ce sont des baby-boomers qui refusent de céder aux effets du temps et qui s’accrochent à leur jeunesse comme un bébé à sa suce.

 Je ne comprends pas pourquoi tout le monde blâme les baby-boomers. Tant mieux s’ils font changer l’image de la vieillesse. Tant mieux si on ne s’attarde plus à un chiffre pour catégoriser les gens. Je te le dis Guy, les temps changent.  La vieillesse est un état d’esprit auquel on peut se frotter à tout âge ou que l’on peut rejeter.

 –          Il n’y a que les vieux qui vont te dire que la vieillesse est un état d’esprit.

Sors de ton trou et regarde autour. Les gens restent en santé, ils vivent plus longtemps. Forcément ça entraîne des bouleversements dans notre rapport au temps, notre rapport aux autres. Nos perceptions changent aussi. Quand on sait que l’on peut vivre jusqu’à 100 ans, on profite de sa jeunesse plus longtemps.

 –          Et ça donne quoi ? Une génération d’enfants gâtés de 30 ans incapables d’assumer la moindre responsabilité ou de se soumettre à une quelconque figure d’autorité. Ça te réjouit vraiment ?

Les figures d’autorités sociales auxquelles nos parents se soumettaient n’ont pas toujours favorisé l’épanouissement et la plénitude, tu sauras. Tout n’est pas mauvais dans la nouvelle façon de faire des jeunes.

–          Le problème n’est pas dans la nouvelle façon de faire des jeunes mais plutôt dans la nouvelle façon de faire des vieux. Quand tu débutes une nouvelle carrière à 65 ans parce que tu es rempli d’énergie, d’oméga-3, d’expérience et d’argent en banque, tu ne favorises pas tellement l’épanouissement et la plénitude des générations émergentes sur le marché du travail.

Tu es jaloux, voilà tout. Pas facile de voir les humains vieillir en beauté et en sagesse quand on n’est qu’un vilain hamster qui vit aux dépends de la folie des autres.

–          C’est ça, oui. Je pense surtout qu’il faudrait que tu fréquentes un peu moins les spas et un peu plus les centres d’accueil. Tu verrais comme les humains vieillissent en beauté.

Nous sommes à l’ère de la glorification de la femme d’âge mur. Regarde Madonna. Jamais on ne croirait qu’elle a soufflé cinquante bougies.

–          Je peux te garantir qu’elle ne les a pas soufflées elle-même, ses cinquante bougies. C’est évident qu’elle n’approche jamais son visage d’une flamme vive, celle-là. Elle a trop de substances inflammables injectées sous ses joues, son menton et ses lèvres.

Arrête. Elle a un corps d’athlète.

–          Elle a le corps d’une déséquilibrée qui passe ses journées à s’entraîner et qui compte chacune de ses calories. Rien de sain là-dedans. Tu me déçois fillette. Je te pensais quand même plus avancée dans tes réflexions sur la valeur des gens.

Ça n’a rien à voir avec la valeur des gens! Proust et Estée Lauder peuvent très bien cohabiter dans le même corps sans se causer de tort mutuellement.

–          Ça c’est ton discours classique pour te convaincre que tu n’es pas une cocotte de luxe.

Je suis loin d’être une cocotte de luxe!

–          Cocotte pression alors?

Je refuse simplement de commencer à porter des jupes à la cheville et des chemisiers à jabot parce que je n’ai plus 25 ans. C’est fini cette époque où l’âge équivalait à une façon  de s’habiller. 

–          Attends quelques années encore.  Le regard des autres va changer. Tu vas commencer à te faire dire que tu es belle « pour ton âge ». Ce qui revient à dire que tu n’es pas si moche pour une vieille mule.

Je ne pense pas. Regarde Sophia Loren. Elle est belle pour son âge et elle n’est pas déchue.

–          Aie ! Pomme ratatinée! Tu veux rire?

Voyons donc! Elle n’a rien de la grand-mère typique de 70 ans. Elle a encore tout son sex-appeal.

–          Le seul sex-appeal qu’il lui reste c’est son compte en banque. Enlève-lui ses sous et elle redevient le pruneau sec qu’elle est vraiment. D’ailleurs si j’étais toi, je commencerais tout de suite à magasiner les injections. Il ne te reste que quelques bonnes années devant toi. Après le bonheur passera par la seringue, quoique tu en penses.

T’es dinguo ou quoi? Je ne me ferai jamais défigurée comme Madonna! Elle est horriblement méconnaissable.

–          Mesdames et Messieurs faites du bruit, la Reine du paradoxe est dans la bâtisse!

Je te l’ai dit, la vieillesse est un état d’esprit que je ne fréquente point.

–          La vieillesse c’est la vieillesse. C’est la peau qui ride, les articulations qui grincent, les dents qui tombent, les cheveux qui blanchissent, l’haleine qui empeste, les seins qui migrent au sud et les neurones qui gèlent au nord. Maquille ça tant que tu voudras avec des fards et des potions, ça reste la vieillesse. Même camouflée, personne n’est dupe.

Des injections ? Tu penses vraiment ?

–          Tout le monde le fait, qu’est-ce que tu penses? Même des plus jeunes que toi.

Mais c’est tellement laid. J’ai peur. Et si ça modifiait complètement mon visage?

–          Ce ne serait pas une mauvaise chose.

Ouille je ne sais pas, Guy. Je pense sincèrement que Tendre Époux m’aime comme je suis.

–          Ce qui ne veut pas dire qu’il va continuer à te trouver belle et désirable quand tu te mettras à flétrir.

Tu penses ?

–          Je ne pense pas, je sais.

Tu sais quoi ? Que Tendre Époux ne m’aimera plus quand je serai ratatinée ?

–           Jamais dit ça.

Tu as dit quoi alors ?

–          Que tu devrais commencer à songer aux injections avant que ta peau du cou ne se mette à ressembler à des cigares au chou de Savoie.

Et ça fait quoi, ça ?

–          Ben, ça fait péter.

Péter ?

–          Oui, péter dans le sens de couple qui pète parce que monsieur en a assez de manger des cigares au chou flasques alors il se met à rêver à de belles petites cuisses de poulet bien fermes, avec poitrine dodue et juteuse.

Tu es d’une vulgarité innommable. Tendre Époux et moi avons dépassé le stade du buffet à volonté. Nous sommes contents et repus avec nos restes de la veille.

–          Tu dis ça parce que tu ne t’es pas encore vue avec le visage flétri des restes de la décade.

Eh bien quand je me mettrai à flétrir, j’irai faire du bénévolat dans des orphelinats en Haïti. Ce sera l’occasion idéale pour me détacher de mon corps et m’investir dans le bien mondial. Je serai une « belle personne ».

–          Tu vas exposer ta peau mature aux rayons du soleil toute l’année ? Rides, sillons, tâches de vieillesse, perte d’élasticité. Tu y as pensé?

Hum, tu n’as pas toujours tort toi. Tu sais, du bénévolat c’est du bénévolat hein? À partir du moment où tu poses un geste sans te faire payer, tu es auréolé. Nul besoin de sacrifier ma santé épidermique pour la cause.

–          C’est ça. Alors va faire ton bénévolat dans les cliniques de chirurgie esthétique tant qu’à y être. Ces désaxés en post-chirurgie ont tout autant besoin de secours que les orphelins haïtiens, à bien y penser.

Pour une fois Guy, je pense que tu vises juste. Je pourrais être bénévole en soutien moral, ce qui me donnerait sûrement accès à des traitements gratuits. Oh je pense que je vais aimer le bénévolat moi!

–          Et tant pis pour les petits haïtiens.

J’ai lu quelque part….

–          Oh non, pas encore!

Que ce n’est pas en nous privant de nos droits fondamentaux que nous aidons les moins privilégiés de cette terre. Il faut leur présenter un modèle de vie et non pas faire les choses à leur place. Donc, les laisser se débrouiller seuls est beaucoup plus salutaire pour leur développement collectif.

–          Depuis quand t’intéresses-tu à la coopération internationale ?

Laisse-moi tranquille. Tu ne comprends rien à l’essence d’une femme.

–          Tu sais ce que je ne comprends pas ?

Veux pas le savoir.

–          Je ne comprends pas qu’une femme qui élève sa fille selon les préceptes judéo-chrétiens à la gomme de bonté, de charité et de beauté intérieure ne soit pas plus outrée, voire révoltée de la sempiternelle image de fraîcheur, de verdeur et d’éclat du teint qui vous est servie sans relâche. Tu n’y penses jamais à ça, p’tite tête? Ta fille! Quel genre de modèle lui offres-tu à ta fille ?

Mais pourquoi me sors-tu cette bouillie, maudit hamster ? Ça allait bien là, toi et moi. J’allais m’endormir toute réjouie à l’idée de faire du bénévolat humanitaire en échange de quelques injections de quoi, au fond, des injections de mise à niveau, sans plus. Et là tu m’enquiquines l’esprit avec ton discours casse-pieds de pédo-rongeur soucieux du développement de ma fille ? T’as lu Dolto récemment, c’est ça?

–          Vas-y Barbie, attaque le messager si ça peut te faire du bien. Ça n’enlève rien au problème.

Quel problème ?

–          Celui que tu vas transmettre à ta fille. Pauvre enfant.

Mais il n’y en a pas de problème! Mignonnette va grandir en apprenant que la beauté est intérieure et moi je vais vieillir en apprenant que la beauté peut aussi être injectée de l’extérieur. Voilà. C’est tout.

–          C’est tout comme dans c’est tout faux.

Non, c’est tout comme dans c’est tout ce que tu sais faire ? Me remplir la tête et m’empêcher de dormir ? Comme dans c’est tout mêlé maintenant, dans mes pensées. Tu m’éneeerves!

–          Mais non biquette, je ne fais que t’aider.

Pas besoin de ton aide, merci.

–           Tu vas où là ?

Je me lève. Tant qu’à ne pas dormir, je vais aller faire un don en ligne aux orphelins de Duplessis.

–        Tu veux dire aux orphelins d’Haïti ?

Ouais c’est ça que je voulais dire. Tu m’énerves.

–         Moi aussi je t’aime, poulette.

N’essaie pas. Tu m’énerves vraiment.

–          T’en fais pas, t’es belle tu sais.

Tu trouves?

–          Ben oui, pour ton âge.

 Aaah, shut up !

***

« La vieillesse est si longue qu’il ne faut pas la commencer trop tôt. » ~ Benoîte Groult


7 réflexions sur “« Vieille mule, frein doré »

  1. Catherine!!!
    Trop bon!!!!!! C’est tellement notre réalité!!!!!
    Comment rester jeune!!! Et le questionnement sur les injections comme promesse de jeunesse!!!
    J’adore!!!!
    Continue!!!!!

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  2. Le hamster, il trotte dans la tête. Y a de la place sous le crâne pour une belle roue. Illuminée, pour la nuit. Voire, fluorescente.

    (insoupçonné, pour moi, et) réjouissant de te lire.
    Merci à Sophie pour le lien. je le mets dans mes favoris.

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  3. Pouvoir y résister sans injections…possible? Il me semble que Tina serait un bel exemple à citer à ce sujet?….Tant qu’à la Madonne elle restera toujours un paradoxe! Sa beauté demeure intérieure pour sa musique non?

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  4. les rides, la peau flasque, le chou de savoie, la beauté ou plutot la laideur de veillir…voilà pourquoi je ne veux pas vivre jusqu’à 100 ans!

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Répondre à Marie-Chantale Gariépy Annuler la réponse.